Deux femmes sur une bicyclette dans le village de Niaming, au Sénégal. ©IDinsight
Quelles sont les clés pour améliorer l’autonomisation économique des femmes au Sénégal ? Dans ce dernier article de notre série dédiée au Mois des Femmes, nous partageons les enseignements tirés de deux organisations sénégalaises avec lesquelles nous collaborons, chacune adoptant une approche unique pour autonomiser les femmes.
Kossam Société pour le Développement de l’Élevage (Kossam) a été fondée en 2019 par la Laiterie du Berger (LdB), une entreprise sociale du secteur laitier. Ces deux organisations collaborent pour acheter du lait aux éleveurs du nord du Sénégal, produire des produits laitiers et les vendre à travers tout le pays. Kossam soutient également le développement professionnel des éleveurs grâce à des programmes de formation et de conseil. Les femmes ont toujours joué un rôle crucial dans l’élevage laitier dans le nord du Sénégal, et Kossam a reconnu cette opportunité pour renforcer l’autonomisation des femmes dans la région.
Tostan est une organisation non gouvernementale fondée au Sénégal en 1991, axée sur les droits humains et le développement communautaire. Elle opère actuellement en Gambie, au Mali, en Guinée, en Guinée-Bissau et au Sénégal. Les programmes de Tostan visent l’autonomisation communautaire, en mettant particulièrement l’accent sur l’autonomisation des femmes et des filles. Dans cet article, nous explorerons deux de leurs initiatives : le Programme d’Autonomisation Communautaire (PAC) et leur récent pilote de Micro-subventions dans 106 communautés PAC.
Le PAC est un programme holistique de trois ans basé sur les droits humains, conçu pour aider les communautés à développer et mettre en œuvre une vision d’amélioration du bien-être. Selon la théorie du changement de Tostan, les avantages pour les femmes se traduisent par un renforcement de leurs capacités grâce à une meilleure harmonie communautaire et des normes sociales plus équitables. Tostan a également récemment lancé un pilote de micro-subventions, distribuant des subventions inconditionnelles de 25 000 XOF à plus de 2 100 ménages au Sénégal, en ciblant principalement les femmes comme bénéficiaires directes, ainsi que d’autres groupes vulnérables.
Kossam vise à contribuer à l’autonomisation des femmes par trois leviers économiques :
Kossam travaille avec un nombre croissant de femmes, qui représentent actuellement la moitié de leurs éleveurs laitiers. Cela s’applique également aux participantes du programme « Mini Ferme » de Kossam, dont la moitié sont des femmes et qui sont censées servir de modèles pour la communauté des éleveurs laitiers. En 2021, Kossam a également lancé un programme de formation en incubation pour les jeunes femmes, les encourageant à entrer dans le secteur de l’élevage laitier et à vendre leur lait à Kossam.
En plus d’augmenter le nombre de femmes éleveuses laitières, Kossam vise à améliorer l’inclusion financière des éleveuses existantes. Beaucoup d’entre elles, en particulier les femmes, n’avaient initialement pas accès à l’argent mobile. Désormais, elles sont toutes payées via une plateforme de Mobile Money, leur permettant de retirer leurs revenus en toute sécurité. Une éleveuse nous a confié qu’elle pouvait désormais « collecter [son] argent en secret et en toute sécurité », ce qui lui permet d’avoir un certain contrôle sur ses propres revenus, indépendamment de son mari.
Kossam cherche également à professionnaliser les femmes en tant que propriétaires d’entreprises, les aidant à se percevoir comme des productrices de lait avec des actifs et une source de revenus stable. À cette fin, ils offrent des conseils personnalisés, notamment aux participantes du programme « Mini Ferme », sur des sujets allant de la santé animale aux meilleures pratiques d’alimentation. Ils proposent également des programmes de formation réguliers à tous les éleveurs laitiers. Nos recherches montrent que ces programmes sont suivis par plus de femmes que d’hommes, confirmant que les femmes sont réceptives aux initiatives de Kossam visant leur développement professionnel.
Cependant, nos conclusions sont conformes aux preuves académiques indiquant que l’autonomisation des femmes par des programmes de soutien économique peut être freinée par les normes sociales. Les perceptions du rôle des femmes dans une communauté sont influencées par des déterminants socioculturels, et dans le nord du Sénégal, des pratiques telles que le mariage des enfants et d’autres formes de violence domestique persistent. Malgré les progrès encourageants observés dans l’autonomisation économique des femmes, certaines des femmes rencontrées continuent de faire face à des contraintes similaires au sein de leur foyer.
Cherchant à comprendre l’impact des dynamiques socioculturelles au sein des ménages et en matière de prise de décision, et sachant qu’il s’agissait d’un sujet sensible à aborder directement, nous avons utilisé un jeu de répartition d’argent fictif pendant la collecte des données. En complément des questions qualitatives, les allocations révélées par les participants pourraient nous aider à mieux comprendre la prise de décision intra-ménage. Nous avons demandé à certains éleveurs laitiers – 3 hommes et 3 femmes, un petit sous-ensemble de notre échantillon – puis à leurs conjoints séparément, de répartir de l’argent fictif entre quatre catégories : alimentation, soins de santé, dépenses personnelles et dépenses professionnelles, entre eux-mêmes, leur conjoint et leur enfant (ou les économies du ménage pour la catégorie des dépenses professionnelles).
Nous avons ensuite demandé aux conjoints de deviner comment leur partenaire avait réparti l’argent fictif. Premièrement, presque tout le monde a reconnu que, quel que soit le propriétaire théorique des revenus de l’élevage laitier, les hommes avaient le dernier mot sur la manière dont cet argent était dépensé. Deuxièmement, il est intéressant de noter que les descriptions des répondants sur la prise de décision avec leur conjoint différaient selon le genre : les femmes étaient plus susceptibles de dire que leurs habitudes et priorités étaient alignées avec celles de leur mari, tandis que ceux qui disaient que leur conjoint aurait pu décider différemment sur certaines catégories étaient presque tous des hommes. Les hommes utilisaient un langage assertif pour décrire cela, comme « je dois donner mon consentement pour tout ce qui se passe dans mon ménage », tandis que les femmes déclaraient être quelque peu impliquées dans le processus de décision, mais confirmaient néanmoins qu’« il me faut toujours l’approbation de mon mari ».
Contrairement à Kossam, Tostan adopte une approche holistique de l’autonomisation des femmes, visant à permettre aux communautés de changer les normes sociales pour qu’elles reflètent la dignité, le respect de tous et la reconnaissance des capacités des femmes en tant que leaders et décideuses, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du ménage. Pour ce faire, le Programme d’Autonomisation Communautaire (PAC) de Tostan se déroule en trois phases clés :
Les membres du CMC travaillent ensemble pour décider des initiatives de développement à mettre en œuvre dans leurs communautés, offrant ainsi une opportunité aux femmes d’être constamment engagées dans les processus de prise de décision communautaires.
En parallèle, les ateliers éducatifs sont divisés en deux modules consécutifs, Kobi et Aawde, couvrant des sujets tels que les droits humains, les approches de la démocratie, la résolution des conflits et des compétences pratiques comme l’alphabétisation, la numératie et la gestion de projet. La majorité des participants étant des femmes, ces cours participatifs et non-judgmentaux visent à leur fournir les compétences nécessaires pour être des leaders dans leurs ménages et communautés.
L’étude descriptive menée par IDinsight en 2020 a révélé que les participants citaient régulièrement une amélioration de l’harmonie entre hommes et femmes comme un résultat positif du PAC. Ce changement perçu dans les dynamiques sociales se traduisait par un respect accru pour le rôle de chacun dans la prise de décision. Pour renforcer l’impact économique du PAC, le module Aawde propose une formation sur les activités génératrices de revenus et la gestion des affaires, afin que les femmes, lorsqu’elles ont accès à des fonds, puissent prendre des décisions productives sur leur utilisation. Tostan fournit ensuite aux communautés partenaires un petit Fonds de Soutien au Développement (FSD) géré par le CMC (à direction féminine) dans chaque village, utilisé pour des activités collectives et des prêts individuels, principalement pour les femmes, qui sont remboursés pour permettre de nouveaux prêts.
Récemment, Tostan a distribué des micro-subventions directement aux ménages dans les communautés PAC. L’équipe d’IDinsight a mené une évaluation de processus pour examiner la mise en œuvre de ce programme de transferts monétaires. Environ la moitié de ces subventions ont été distribuées directement aux femmes, et près de 70 % des bénéficiaires étaient également participants au PAC, offrant une opportunité d’analyser si l’« harmonie améliorée » perçue dans l’étude descriptive se reflétait dans la prise de décision des ménages concernant l’utilisation des fonds.
Nous avons constaté que, quel que soit le genre, les bénéficiaires consultaient toujours leurs conjoints sur la manière de dépenser les fonds, signifiant une participation égale des hommes et des femmes dans ces décisions. De plus, les femmes qui recevaient les subventions étaient statistiquement plus susceptibles d’utiliser les fonds pour des achats productifs, tels que des fournitures pour les entreprises ou des intrants agricoles, comparé aux hommes bénéficiaires. Bien que nous ne puissions pas tirer de conclusions causales sur l’impact du PAC, nous avons observé que, dans ces communautés, les hommes et les femmes étaient des partenaires égaux dans le processus de prise de décision.
Les résultats de nos collaborations avec Kossam et Tostan ont fourni des insights précieux pour les acteurs de terrain sur l’efficacité de leurs programmes dans l’autonomisation des femmes et sur les domaines qu’ils pourraient souhaiter renforcer à l’avenir. Les pratiques de recherche, telles que les évaluations de processus que nous avons menées pour Kossam et Tostan, peuvent aider d’autres organisations à identifier comment affiner ou améliorer leurs programmes en fonction des résultats observés en matière d’autonomisation des femmes.
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